Christine CHO
« Les hommes, il en existe six ou sept, je les ai aperçus, il y a
des années. Mais on ne sait jamais où les trouver. Le vent les emporte,
ils manquent de racines, ça les gêne beaucoup … » Antoine de St Exupéry
Le petit Prince.
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Folon |
En ce temps- là, les hommes étaient peu nombreux sur la terre. Peu
nombreux et légers. Très légers. Ils s’envolaient au moindre souffle
d’air. Ils n’avaient pas d’ailes comme les oiseaux, non, ils
marchaient sur la terre ferme et quand le vent se levait, il les
emportait un peu plus loin.
S’ils arrivaient sur le rivage, ils ramassaient les coquillages, les
crabes et les plus habiles attrapaient des poissons avec leurs sagaies.
Ils les cuisaient sur un feu et s’endormaient le ventre plein à côté des
braises.
S’ils arrivaient dans la montagne, ils cueillaient des plantes, des
fruits et les plus habiles, attrapaient un oiseau avec leurs sagaies.
Ils les cuisaient sur un feu et s’endormaient le ventre plein à côté des
braises.
Parfois, bien sûr, ils regrettaient de quitter le lieu où ils vivaient. Mais ils ne cherchaient pas à résister au vent.
Parfois, encore, le vent était si violent qu’ils les dispersaient.
Ils se retrouvaient séparés les uns des autres. Mais ils ne cherchaient
pas à résister au vent.
En ce temps-là, la terre était couverte de forêts. Les arbres, eux,
avec leurs solides racines, trouvaient bien étranges ces êtres
flottants et sans attaches. Ils essayaient bien de leur parler mais les
hommes parlaient beaucoup entre eux. Ils parlaient fort entre eux et
ils ne pouvaient pas entendre les arbres. Et s’ils avaient réussi à
entendre le langage des arbres, il n’est pas sûr que les hommes l’
eussent compris.
Quand les hommes se taisaient, au moment où ils s’endormaient et au
moment où ils se réveillaient, ils entendaient tout juste l’écorce
craquer sous le soleil, les feuilles bruisser dans le vent.
Sur le rivage, ils entendaient craquer les bambous, bruisser les palmes des cocotiers.
Dans la montagne, ils entendaient aussi craquer les bambous, bruisser les feuilles du kaori.
Mais jamais aucun homme ( ni d’ailleurs aucune femme, car en ce
temps là bien sûr, il y avait aussi des femmes) aucun homme n’avait
entendu les conseils que lui prodiguaient les arbres. Les arbres
parlaient, chantaient, criaient parfois : Enlacez mon tronc, accrochez
vous à mes branches, caressez mes feuilles. Vous ne connaissez pas le
bonheur d’être enraciné dans une terre.
Or, un jour, il y eut une tempête et une femme fut emportée par le
vent. Elle se retrouva seule au milieu d’une forêt de kaoris. Assommée
par la bourrasque et par sa chute un peu brutale, elle dormit longtemps.
Autour d’elle, les arbres se penchaient pour lui faire un abri,
faisaient tomber leurs feuilles pour la protéger du froid pendant la
nuit, agiter leurs branches pour en faire ruisseler des gouttes d’eau
et la rafraîchir pendant le jour.
Quand elle s’éveilla, le silence enveloppait la forêt. Elle vit les
feuilles qui la protégeaient, elle sentit les gouttes d’eau sur sa
bouche. Elle se leva et enlaça le grand kaori le plus proche. Elle
l’enlaça longtemps et il lui sembla entendre une voix s’échapper de son
gros tronc. Oui, une voix qui disait :
« je suis le grand kaori, je suis fort et tu seras forte comme moi. Je
te donne le nom de Kaora. Arrache un peu de mon écorce, ajoutes- y
quelques feuilles, mélange les à l’eau de pluie et plus jamais le vent
ne t’emportera où il veut. Tu pourras choisir l’endroit où tu veux
vivre, construire ta case et cultiver ton champ. »