mardi 8 mai 2012

Comment les hommes trouvèrent leurs racines

Christine CHO
« Les hommes, il en existe six ou sept, je les ai aperçus, il y a des années. Mais on ne sait jamais où les trouver. Le vent les emporte, ils manquent de racines, ça les gêne beaucoup … » Antoine de St Exupéry Le petit Prince.
Folon
 

En ce temps- là, les hommes étaient peu nombreux sur la terre. Peu nombreux et légers. Très légers. Ils s’envolaient au moindre souffle d’air. Ils n’avaient pas d’ailes comme les oiseaux, non, ils marchaient sur la terre ferme et quand le vent se levait, il les emportait un peu plus loin.
S’ils arrivaient sur le rivage, ils ramassaient les coquillages, les crabes et les plus habiles attrapaient des poissons avec leurs sagaies. Ils les cuisaient sur un feu et s’endormaient le ventre plein à côté des braises.
S’ils arrivaient dans la montagne, ils cueillaient des plantes, des fruits et les plus habiles, attrapaient un oiseau avec leurs sagaies. Ils les cuisaient sur un feu et s’endormaient le ventre plein à côté des braises.
Parfois, bien sûr, ils regrettaient de quitter le lieu où ils vivaient. Mais ils ne cherchaient pas à résister au vent.
Parfois, encore, le vent était si violent qu’ils les dispersaient. Ils se retrouvaient séparés les uns des autres. Mais ils ne cherchaient pas à résister au vent.
En ce temps-là, la terre était couverte de forêts. Les arbres, eux, avec leurs solides racines, trouvaient bien étranges ces êtres flottants et sans attaches. Ils essayaient bien de leur parler mais les hommes parlaient beaucoup entre eux. Ils parlaient fort entre eux et ils ne pouvaient pas entendre les arbres. Et s’ils avaient réussi à entendre le langage des arbres, il n’est pas sûr que les hommes l’ eussent compris.
Quand les hommes se taisaient, au moment où ils s’endormaient et au moment où ils se réveillaient, ils entendaient tout juste l’écorce craquer sous le soleil, les feuilles bruisser dans le vent.
Sur le rivage, ils entendaient craquer les bambous, bruisser les palmes des cocotiers.
Dans la montagne, ils entendaient aussi craquer les bambous, bruisser les feuilles du kaori.
Mais jamais aucun homme ( ni d’ailleurs aucune femme, car en ce temps là bien sûr, il y avait aussi des femmes) aucun homme n’avait entendu les conseils que lui prodiguaient les arbres. Les arbres parlaient, chantaient, criaient parfois : Enlacez mon tronc, accrochez vous à mes branches, caressez mes feuilles. Vous ne connaissez pas le bonheur d’être enraciné dans une terre.
Or, un jour, il y eut une tempête et une femme fut emportée par le vent. Elle se retrouva seule au milieu d’une forêt de kaoris. Assommée par la bourrasque et par sa chute un peu brutale, elle dormit longtemps. Autour d’elle, les arbres se penchaient pour lui faire un abri, faisaient tomber leurs feuilles pour la protéger du froid pendant la nuit, agiter leurs branches pour en faire ruisseler des gouttes d’eau et la rafraîchir pendant le jour.
Quand elle s’éveilla, le silence enveloppait la forêt. Elle vit les feuilles qui la protégeaient, elle sentit les gouttes d’eau sur sa bouche. Elle se leva et enlaça le grand kaori le plus proche. Elle l’enlaça longtemps et il lui sembla entendre une voix s’échapper de son gros tronc. Oui, une voix qui disait :
«  je suis le grand kaori, je suis fort et tu seras forte comme moi. Je te donne le nom de Kaora. Arrache un peu de mon écorce, ajoutes- y quelques feuilles, mélange les à l’eau de pluie et plus jamais le vent ne t’emportera où il veut. Tu pourras choisir l’endroit où tu veux vivre, construire ta case et cultiver ton champ. »






1 commentaire:

christinecho a dit…

bonne fête au village et bonne lecture.
Quel bon vent celui qui emporte les contes d'un village de la côte est de la Nouvelle Calédonie Kanaky à St Jean de Ceyrargues.